Orléans, le 22 mai 2025. Salle de conférence des archives départementales.
Mot d’introduction – Joëlle Gellert, présidente de la Licra Loiret
Que fait la Licra ? Permettez-moi un rapide mot de présentation. Comme le disait Voltaire : « Le secret pour ennuyer est de tout dire. » Notre Licra, Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme, combat toutes les formes de haine. Notre action repose sur une conviction forte : lutter par les mots, dans le cadre de la République.
La Licra se veut avant tout une école du débat, où la contradiction fait jaillir la confrontation des idées et des convictions. Notre objectif est de favoriser l’écoute, répondre aux doutes, développer l’esprit critique, et tracer ensemble un chemin où la vérité démocratique et républicaine puisse nous éclairer.
Les différences culturelles, les religions, ou même l’absence de religion sont autant de points de départ. Ce qui compte, c’est de reconnaître un esprit collectif, riche de sa diversité, autour de valeurs communes. L’engagement associatif doit préserver, voire créer, cet espace public – espace de rencontre, de sociabilité, de dialogue, de critique, et de projet commun.
Pour la Licra, le meilleur moyen de combattre les extrêmes politiques et religieux est de « consacrer » cet espace public, de le défendre fermement, d’être intolérant face aux atteintes à la laïcité, tout en menant un combat sans relâche contre toutes les discriminations, afin que chacun puisse y trouver sa place. Et une fois cet espace construit, la vie privée de chacun – religion ou non – relève de l’intime.
Dans le Loiret, un travail de terrain remarquable a déjà commencé. Nous aurons besoin de votre soutien pour l’avenir, car la Licra Loiret doit renforcer ses moyens financiers dans cette période troublée, pour continuer à répondre aux exigences de sa mission. N’hésitez pas à adhérer ou à faire un don afin de soutenir nos actions.
Grâce à Maître Grégory Meyer, notre avocat, nous avons pu nous porter partie civile après l’agression physique du rabbin d’Orléans. La Licra a également organisé une marche silencieuse en soutien, rassemblant 1500 personnes. Un immense merci à tous nos bénévoles qui ont rendu cela possible. Nous sommes une force silencieuse qui fait beaucoup de bruit là où elle passe : face à la haine, notre fraternité est puissante.
Le bureau de la Licra, par l’intermédiaire de sa présidente et avec l’appui juridique de Maître Meyer, s’est aussi porté partie civile dans plusieurs affaires : l’incendie volontaire de la salle de prière musulmane de Jargeau, l’agression du rabbin d’Orléans, et la diffusion d’autocollants discriminatoires ciblant nos compatriotes d’origine musulmane. Par ailleurs, nous nous sommes opposés à la vente aux enchères d’objets nazis, grâce aux conseils de de notre avocat et à nos nombreuses interventions dans les médias.
Nos nombreux communiqués de presse, diffusés en continu dans cette période complexe, montrent que nous sommes à notre place : un rempart contre les discriminations. Nous aurons bientôt un salarié, M. Sébastien Colin, à partir du 1er août 202. Il s’agit d’une nouvelle étape, grâce au soutien de la Région dans le cadre du dispositif Cap Asso,. Vos likes et partages sur les réseaux sociaux sont précieux et nous encouragent dans ce travail.
Vous, bénévoles, qui intervenez dans les écoles, collèges, lycées et à l’université le Loiret, êtes notre premier bouclier là où la haine pointe le bout de son nez. Et ce n’est pas seulement auprès des jeunes : une intervention est prévue dans un Ehpad où certains personnels soignants de couleur se voient refuser l’accès à certaines chambres. Nous ne tolérerons jamais cela !
Nos conférences visent à combattre l’ignorance, comme celle d’aujourd’hui. Nous sommes plus déterminés que jamais à « préserver la laïcité », d’autant plus que cette année marque les 120 ans de la loi de 1905. Un banquet républicain sera organisé autour de la table Jean Zay au parc Pasteur le 7 juillet.
Voici quelques-unes des conférences récentes et à venir, qui abordent des sujets sensibles et essentiels :
- En mars : « École et islamisme : des professeurs dans la tourmente » avec Iannis Roder ;
- Aujourd’hui : « Oser la rencontre : les religions du Livre et la République » ;
- Le 23 septembre : « Éthique et emballement médiatique : le cas de la loi sur l’immigration en France ».
Le défi de la Licra est clair : ne pas céder aux injonctions communautaires, mais construire la société, faire nation.
Présentation des intervenants – Joëlle Gellert
Ce soir, nous accueillons :
- Mgr Jacques Blaquart, évêque d’Orléans ;
- Mohamed Azaroual, président de l’association Annour qui gère la mosquée de La Source ;
- Simon Fleury-Schindler, enseignant et représentant de la communauté juive ;
- Gilles Kounowski, du Laboratoire Loiret Laïcité.
Présentation du thème de la rencontre par Jean-Pierre Delpuech, secrétaire de la Licra Loiret
Lors de cette rencontre, plusieurs intervenants ont partagé leurs réflexions autour de la laïcité, des grandes fêtes religieuses et de la place des religions dans la société française.
Mgr Jacques Blaquart, évêque d’Orléans, a d’abord rappelé l’importance centrale de la fête de Pâques dans la foi chrétienne. Pour lui, cette fête célèbre la libération de l’esclavage par Jésus, un homme juif qui donne un sens nouveau à cette libération. L’esclavage symbolise la mort, tout ce qui éloigne de Dieu et de la liberté : le péché, le rejet de l’autre, voire le mépris. La croyance chrétienne repose sur la mort et la résurrection de Jésus, qui offre sa propre vie, une vie nouvelle, un don de l’Esprit à chaque croyant. Noël trouve sa source en Pâques, tout comme le rassemblement dominical, car le dimanche est le premier jour de la résurrection. Jésus est venu pour tous, offrant pardon et amour gratuitement, sans exclusion. Selon Mgr Blaquart, Jésus est peut-être le premier laïque, car il a proposé une religion respectueuse de chaque personne rencontrée. Contrairement à l’expression « religion du livre » issue de l’islam, le christianisme est avant tout la religion d’une personne.
Mohamed Azaroual, président de l’association Annour qui gère la mosquée de La Source, a évoqué la préparation du Ramadan, qui commence six mois à l’avance pour offrir un espace et un programme à chacun. Ce mois est celui du partage, où l’on jeûne durant la journée pour ressentir la souffrance des plus démunis, et où l’on partage le repas avec tous. Les mosquées jouent un rôle important dans la société en favorisant les échanges et l’entraide, parfois même matérielle, comme le paiement de factures. Pour lui, le Ramadan est aussi un moment de correction de soi, d’introspection afin de mieux rebondir. Si l’on en sort sans changement, c’est que le mois n’a pas été pleinement vécu. Le pèlerinage à La Mecque constitue un autre moment fort. Le Coran a été révélé durant le Ramadan, période où l’on est intellectuellement le plus disponible. Il faut profiter de ces bienfaits sans être attaché au matériel. Malgré les différences, tous vivent ensemble dans le cadre structurant de la laïcité. Mohamed Azaroual souligne que cette dernière demande des adaptations, car elle ne correspondait pas initialement à cette manière de penser.
Simon Fleury-Schindler, enseignant, a rappelé que Pessah (la Pâque juive) est mentionnée dès les tout premiers versets de la Torah comme une fête de libération à la fois politique et spirituelle. Elle célèbre la sortie des tribus hébraïques du joug des pharaons, une émancipation politique, mais aussi le don de la Torah sur le mont Sinaï, qui marque une libération spirituelle. Ce moment fondateur correspond à la naissance du peuple hébreu. La Loi, remise à cette occasion, s’adresse à tous, elle est la même pour chacun et protège en particulier les plus vulnérables. Elle n’est pas anarchiste, mais constitue une finalité : celle de s’émanciper en tant que peuple. La liberté devient dès lors une valeur essentielle, indissociable de la Loi.
Simon Fleury-Schindler a également souligné l’importance de Souccot, la dernière fête de pèlerinage, durant laquelle les croyants sont appelés à construire une cabane (souccah). Cette expérience invite à revivre la précarité des Hébreux au désert, à accepter une forme de simplicité, voire de vulgarité, et surtout à se retrouver ensemble sous un toit fragile. Cette cabane, éphémère et partagée, devient un lieu de fraternité. Cette démarche symbolique prolonge l’idée d’unité, de solidarité et de fraternité tout au long de l’année.
Joëlle Gellert a souligné que dans chacune de ces trois grandes fêtes, croyants et fidèles s’interrogent sur leur propre émancipation, qu’elle soit individuelle ou collective.
Gilles Kounowski, président du Laboratoire Loiret de la Laïcité, a développé la complexité de concilier la neutralité imposée à l’État par la laïcité avec la liberté laissée aux citoyens d’exprimer leurs convictions religieuses. Il a rappelé que la neutralité concerne avant tout les agents publics, tandis que la République garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, sous réserve du respect de l’ordre public. Il a fait un historique de la loi de 1905, rappelant que cette loi a remplacé le concordat napoléonien, marqué par un contrôle étroit des religions mais aussi leur financement. Alors que les cultes protestants et juifs ont adhéré rapidement à la laïcité, l’Église catholique a mis du temps à accepter cette séparation. Pour l’islam, la situation a été plus complexe, notamment en Algérie où des adaptations coloniales ont maintenu un certain contrôle religieux. Cette histoire explique en partie les réticences actuelles de certains musulmans face à la laïcité, pourtant garante de la liberté religieuse.
Aujourd’hui, l’État affiche sa neutralité envers toutes les convictions, tandis que les citoyens restent libres d’exprimer leurs croyances dans l’espace public, dans le respect de l’ordre public. La laïcité française garantit une liberté très large, même si des restrictions existent, notamment à l’école publique pour préserver un cadre neutre. Gilles Kounowski a insisté sur le fait que les interdictions vestimentaires dans la rue ne relèvent pas de la laïcité, mais du maintien de l’ordre public. Il a évoqué des jugements récents reconnaissant que des manifestations religieuses limitées dans le temps et l’espace ne troublent pas l’ordre public, preuve de la tolérance du système français.
Enfin, il a conclu avec une référence à un proverbe yiddish : « Heureux comme Dieu en France », soulignant que la France demeure un pays où la liberté de croire et de ne pas croire est garantie, illustrée par la rencontre de ce soir.
Sur la question de la séparation entre religion et État, Jean-Pierre Delpuech a invité à réfléchir à la manière de vivre cette séparation, au cœur de la tradition républicaine.
Simon Fleury-Schindler a rappelé que cette question est ancienne, notamment dans la tradition juive où, en contexte d’exil, les juifs distinguaient clairement la sphère publique de la sphère privée : « Sois un homme dehors, un juif sous ton toit ». Ce modèle de laïcité avant l’heure, jugé idéal, peut cependant engendrer des tensions. La République reconnaît la diversité religieuse mais impose à tous de renoncer à toute hégémonie religieuse. Elle invite à la critique, même des textes sacrés, et protège les personnes, non les croyances. La tradition juive elle-même est habituée au débat et à la pluralité des vérités, ce que Simon Fleury-Schindler qualifie d’art de « chamaniser » sa foi, c’est-à -dire d’accepter une foi flexible et complexe.
Mohamed Azaroual rappelle que l’islam est intrinsèquement divers, selon les régions du monde, et que la France offre un cadre unique pour réfléchir à son évolution et vivre la cohabitation. Il souligne que certains croyants ont du mal à comprendre la laïcité, mais que le dialogue interreligieux est essentiel pour mieux se comprendre. Il insiste sur l’importance de préserver l’harmonie sociale, de transmettre des valeurs communes, et de favoriser les rencontres pour avancer ensemble, ce que rejettent les intégristes.
Mgr Jacques Blaquart insiste sur le fait que la religion est aussi un élément historique et patrimonial important dans notre société. Les croyants vivent leur foi dans ce cadre, tout en respectant la loi républicaine. Il rappelle que si la République est laïque, la société, elle, est plurielle et composée de diverses croyances et philosophies. La laïcité garantit le respect et l’égalité. Il défend une laïcité fondée sur le respect mutuel, mais met en garde contre ses dérives possibles. Il cite notamment la difficulté à maintenir les aumôneries dans certaines institutions comme un signal inquiétant. Concernant la présence de signes religieux dans l’espace public, il exprime son inquiétude face à une tendance à vouloir ne plus voir aucun signe, ce qui pourrait mener à un athéisme imposé, un glissement dangereux selon lui.
Ainsi, ces différents points de vue illustrent la richesse et la complexité des enjeux liés à la laïcité, à la liberté religieuse dans une société plurielle. Ils montrent aussi combien le dialogue, la connaissance mutuelle et le respect sont essentiels pour construire une société harmonieuse.
