Mardi 23 septembre 2025 – Musée des Beaux-Arts d’Orléans
Ouverture – Joëlle Gellert, présidente de la Licra Loiret et membre du Conseil Fédéral de la Licra
La conférence s’ouvrit par une intervention de Joëlle Gellert. Elle rappela d’abord l’héritage de la LICA :
« Tout ce qui marginalise l’individu, on le combat aujourd’hui, en 2025, comme lors de la création de la LICA. »
Elle fit un parallèle entre la création de la Ligue, née pour combattre l’antisémitisme et défendre l’égalité, et ses combats actuels : harcèlement, discriminations, racisme, antisémitisme, haine en ligne.
Elle présenta ensuite les nombreuses actions menées par la section orléanaise : interventions en milieu scolaire, organisation de conférences publiques, participation à des manifestations commémoratives et débats citoyens. L’année 2025 a revêtu une importance particulière : marquée par le 125ᵉ anniversaire de la loi de 1905, elle a donné lieu à un travail commun avec le Laboratoire Loiret de la Laïcité, afin de réaffirmer l’actualité de ce texte fondateur.
Mme Gellert mit également en lumière la pétition de la Licra Loiret pour un lieu de mémoire dédié à Alfred Dreyfus à Orléans, où ce dernier termina sa carrière militaire. Elle rappela le caractère collectif et fédérateur de cette initiative, portée par les adhérents, les habitants, et soutenue par des personnalités de divers horizons : Élisabeth Badinter, Huges Aufray, Aurore Bergé, Anne Sinclair, Sam Bernett.
Son propos se fit plus grave lorsqu’elle souligna le parallèle entre l’affaire Dreyfus et le contexte actuel :
« Il est très important de se souvenir de la problématique liée à Dreyfus et d’un État qui, à l’époque, ne fut pas courageux. Les contextes se ressemblent et il faut en tirer quelque chose. C’est ce que nous avons fait. »
Elle termina en affirmant que la mémoire n’est pas un luxe, mais une responsabilité politique et morale : sans mémoire, les erreurs du passé risquent de se répéter.
Présentation des intervenants – Jean-Pierre Delpuech, secrétaire général de la Licra Loiret
Jean-Pierre Delpuech prit ensuite la parole pour présenter les trois invités de la soirée :
- Brice Mankou, sociologue, spécialiste des dynamiques migratoires, notamment dans leur dimension féminine et familiale.
- Me Nelsie-Cléa Kutta Engome, avocate, experte en droit des étrangers et praticienne quotidienne des procédures de régularisation, d’asile et de contentieux liés aux mesures d’éloignement.
- Gilles Kounowski, représentant du Laboratoire Loiret de la Laïcité, venu éclairer les liens complexes entre immigration, pratiques religieuses, et principe républicain de laïcité.

Intervention de Jean-Pierre Delpuech – Le poids du débat migratoire
Jean-Pierre Delpuech rappela combien la question migratoire occupe une place centrale dans le débat français. Elle recouvre les flux migratoires, le droit d’asile, les conditions de séjour, mais aussi le climat social et politique qui l’entoure.
Il déplora la montée du racisme et de la xénophobie et évoqua la pétition lancée par Philippe Devillers, qui a recueilli plus d’un million de signatures en faveur d’un renforcement des frontières, signe d’une crispation grandissante.
A l’inverse, il rappela les mots de Mario Stasi, président national de la Licra :
« La France est un pays dont la tradition d’accueil est ancrée dans la culture et dans les lois »
Puis il apporta des chiffres précis pour contrer les discours alarmistes :
- Dans le monde, plus de 240 millions de personnes sont en situation de migration, soit 3 % de la population mondiale.
- En France, l’INSEE recense 7,3 millions d’immigrés, soit 10,7 % de la population totale.
- Parmi eux, 2,5 millions ont acquis la nationalité française.
- La population étrangère vivant en France s’élève à 5,6 millions de personnes, soit 8,2 % de la population totale. Elle se compose de 4,8 millions d’immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française et de 0,8 million de personnes nées en France de nationalité étrangère.
- Depuis 2006, les départs d’immigrés sont restés modestes.
- Le profil de l’immigration, autrefois essentiellement masculin, s’est féminisé.
- Plus de trente lois sur l’immigration ont été adoptées en France depuis quarante ans.
Pour Monsieur Delpuech, la question migratoire est désormais « majeure » :
« Le solde migratoire positif compense le déclin de la natalité, mais alimente les peurs qui sont entretenues à des fins politiciennes.. »
Intervention de Brice Mankou – Comprendre le mouvement des peuples
Le sociologue Brice Mankou proposa d’abord une définition claire et accessible :
« L’immigration, c’est le mouvement d’une population d’un point A à un point B. »
Il insista sur la richesse des perspectives scientifiques qui permettent d’en rendre compte, la sociologie jouant ici un rôle central :
- Science politique : les politologues analysent les discours officiels, les lois et politiques publiques.
- Psychologie : on s’intéresse à la manière dont l’expérience migratoire affecte la santé mentale, le sentiment d’appartenance et le rapport à soi.
- Géographie : étude des espaces de départ et d’arrivée, des routes migratoires, des recompositions territoriales.
- Anthropologie et même géologie : réflexion sur la relation au sol, à la sédentarité et au déracinement.
Il mit en évidence la nécessité de donner des clés de l’intégration aux personnes arrivant en France : apprentissage de la langue, compréhension du cadre juridique, accès aux droits sociaux. Il rappela que le solde migratoire est un indicateur déterminant : il montre que la migration est un processus durable et structurant pour les sociétés.
Presque deux tiers des français ont des origines étrangères, une forme de métissage s’opère devant nous. Ces notions ne doivent pas être subies mais intégrées sans peur, en éclairant l’opinion.
Il termina son intervention par une phrase marquante, qui résonna dans la salle :
« Il ne faut jamais oublier qu’il s’agit d’êtres humains. »
Intervention de Maître Nelsie-Cléa Kutta Engome – Le droit des étrangers
Maître Nelsie-Cléa Kutta proposa une plongée très précise dans le parcoure d’accès au droit pour les étrangers. Elle passa en revue les principaux axes :
- Conditions d’accès au territoire,
- Procédures de délivrance et de renouvellement des titres de séjour,
- Droit d’asile,
- Mesures d’éloignement (OQTF),
- Notion de menace à l’ordre public.
Elle rappela que ce droit est constitué par une mosaïque de textes : Constitution, Code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA), conventions internationales (Convention de Genève, Convention européenne des droits de l’homme, Convention de New York sur les droits de l’enfant), accords bilatéraux.
Elle souligna le paradoxe du droit d’asile : garanti par la Constitution, mais extrêmement difficile à exercer concrètement. Elle décrivit le parcours du combattant des demandeurs :
- L’entrée doit être régulière (visa familial, professionnel, étudiant, touristique).
- Les motifs sont en général professionnels ou familiaux.
- Les autorités exigent désormais une connaissance suffisante du français et un contrat d’engagement républicain.
- Le délai moyen d’instruction est de deux ans.
Les délais administratifs sont un autre obstacle majeur : deux ans en moyenne entre le dépôt d’une demande et la réponse de la préfecture. Pendant ce temps, les demandeurs vivent, travaillent, paient loyers et impôts, mais restent dans une insécurité juridique totale.
Elle s’alarma aussi du renforcement des mesures d’éloignement : seules les personnes mineures échappent désormais à l’OQTF, exécutoire pour trois ans. La notion de « trouble à l’ordre public » est si vague qu’elle ouvre la porte à des abus.
« Ce sont des parcours d’humains. Les gens travaillent, payent des impôts, des loyers, mais n’ont parfois droit à aucune aide. Il est essentiel de les accompagner. »
Intervention de Gilles Kounowski – Laïcité et intégration
Gilles Kounowski aborda la laïcité. Il rappela les fondements de la loi de 1905 : liberté de conscience, neutralité de l’État, séparation de l’Église et de l’État. La Constitution définit la République comme « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Il dénonça l’instrumentalisation politique de la laïcité, parfois utilisée comme arme contre certains groupes, notamment les étrangers. Alors que son rôle premier est de protéger la liberté de chacun, elle devient parfois un outil de stigmatisation.
Quelques constats frappants pouvant être sources d’incompréhension des immigrés lorsqu’ils arrivent en France :
- 60 % des Français se déclarent non croyants, ce qui constitue une transformation profonde.
- L’immigration modifie les équilibres religieux et peut provoquer des crispations identitaires, voir des replis communautaires.
- Le port de signes religieux, absent du débat pendant plusieurs décennies, a ressurgi depuis les années 1990, notamment dans le contexte scolaire.
Deux points furent développés :
- Laïcité dans les services publics et l’école
- L’école publique, rappelait Ferdinand Buisson, a pour vocation de « former des républicains ».
- Les agents publics sont soumis à une stricte neutralité, mais certaines intransigeances compliquent parfois la relation avec les usagers.
- Pratique religieuse et organisation des cultes
- L’absence de financement public des cultes engendre des pénuries de lieux de culte, des prières de rue, des polémiques sur l’abattage rituel.
- Ces tensions nourrissent les discours de rejet, qui stigmatisent certaines minorités religieuses.
Pour lui, la laïcité reste émancipatrice, notamment pour les femmes : elle garantit leur égalité et leur liberté face aux pressions religieuses. Mais elle exige de la pédagogie et de la nuance, pour éviter qu’elle ne devienne un prétexte à l’exclusion.
« Evoquer ces sujets permet d’éclaircir les choses, de mieux comprendre ces phénomènes. »
Femmes et migration : le regard sans détour de Brice Mankou
Brice Mankou reprit la parole pour mettre l’accent sur la place donnée aux femmes.
Il donna l’exemple des femmes africaines dans les années 1990-2000 : grâce au téléphone portable, elles ont pu créer des réseaux de solidarité, d’abord locaux puis transnationaux. Ces réseaux ont facilité l’accès à des ressources, des soutiens affectifs et matériels, et permis à ces femmes de s’autonomiser.
Il insista aussi sur la dureté des parcours migratoires féminins : viols, violences, extorsions, parfois perpétrés par les passeurs ou même par des forces de l’ordre dans certains pays de transit (Libye, Tunisie). Ces réalités, souvent tues, sont la face sombre de l’immigration irrégulière.
Enfin, il exprima un regret : le silence autour de la francophonie. Selon lui, les pays francophones, qui partagent une langue et une culture, pourraient être un formidable vecteur d’intégration et de coopération, mais ils sont trop peu mobilisés dans les politiques françaises et européennes.
Femmes migrantes, violences et intégration : l’analyse de Me Nelsie-Cléa Kutta Engome
Maître Nelsie-Cléa Kutta Engome évoqua la situation dramatique des femmes migrantes. Viol, exploitation sexuelle et violences sont utilisés comme armes de guerre et de domination, souvent dans le silence le plus complet. Ces crimes, commis à l’étranger ou en zones de guerre, échappent à la justice française. La seule réponse, selon elle, réside dans la diplomatie internationale, faute de compétence juridique.
« L’intégration passe par la rencontre, les barrières, les biais tombent. »

Conclusion
À travers cette conférence, un message s’est imposé : la migration n’est pas qu’une affaire de chiffres ou de lois, mais avant tout une réalité humaine, où se croisent épreuves, luttes, espoirs et volonté d’émancipation.
La laïcité, loin d’être un instrument de division, apparaît comme l’un des piliers essentiels permettant à la République d’accueillir et d’intégrer, sans renoncer à ses valeurs fondamentales.