Orléans, Le 18 mars 2025
L’événement s’ouvre par les salutations des participants, suivies d’une introduction de Joëlle Gellert, présidente de la Licra Loiret. Elle rappelle l’historique et les missions de l’association : interventions en milieu scolaire, service juridique et organisation de conférences, dont le cycle Préserver la Laïcité. Elle présente ensuite la thématique du jour.
→ Gilles Kounowski, président du Laboratoire Loiret de la Laïcité, intervient pour rappeler le contexte historique et juridique, notamment la loi de 1905.
→ Joëlle Gellert introduit ensuite l’intervenant, Iannis Roder, qui débute sa conférence.
Iannis Roder revient sur l’évolution de la laïcité dans l’école républicaine. En 1982, selon Mona Ouzouf, la laïcité faisait consensus. Mais en 1989, l’affaire du voile de Creil marque un tournant avec l’entrée de l’islam dans le débat scolaire. S’ensuivent des discussions sur le port des signes religieux. Le Conseil d’État estime alors qu’ils sont acceptables s’ils ne troublent pas l’ordre scolaire. Cependant, certains responsables politiques, comme Jean Poperen, adoptent une position plus stricte que celle de Lionel Jospin et plaident pour une interdiction totale.
La loi de 2004, interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, est alors perçue par les enseignants comme une loi d’apaisement. Plus récemment, en septembre 2023, la note de Gabriel Attal sur l’interdiction de l’abaya marque un tournant, en contrastant avec l’approche plus prudente de son prédécesseur Pap Ndiaye, qui laissait aux chefs d’établissement le soin de gérer ces situations.
Iannis Roder replace ces débats dans une perspective historique, en rappelant les principes fondateurs de l’école républicaine et les événements qui ont conduit à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.
La loi de 2004 s’inscrit pleinement dans le cadre de l’école républicaine. Pour mieux comprendre son fondement, il est essentiel de revenir sur l’histoire ayant mené à la loi de 1905.
L’école repose sur la science, car celle-ci est fondée sur des démonstrations rationnelles, acceptables par tous. Son rôle est d’aider les élèves à s’affranchir des déterminismes sociaux et culturels. Elle n’exige pas d’adhésion aux savoirs qu’elle transmet : il n’y a pas de catharisme républicain. En revanche, les élèves doivent écouter, comprendre, découvrir et restituer ces connaissances. C’est ainsi que se construit le processus d’émancipation. Comme l’affirmait Jean Jaurès, “laïcité et démocratie sont synonymes”. L’école a toujours eu pour mission de former les citoyens de demain.
Les contestations et tensions actuelles
Cependant, certains territoires sont confrontés à des difficultés croissantes. Les contestations d’enseignement, motivées par des considérations politiques ou religieuses, se multiplient dans plusieurs matières, notamment l’Histoire, les SVT et l’EPS. Ces remises en cause, parfois soutenues par des parents, engendrent des tensions avec les équipes pédagogiques.
Si ces incidents restent globalement contenus, les violences physiques contre les enseignants sont préoccupantes : six professeurs sont agressés chaque jour en France. Selon une étude du CNAL en 2018, 36 % des enseignants évitaient déjà d’aborder les questions religieuses. Après l’assassinat de Samuel Paty, ce chiffre est monté à 49 %, et même 56 % aujourd’hui. L’autocensure progresse, avec un quart des enseignants qui s’y résignent plusieurs fois par an. Outre la question de la sécurité, des lacunes persistent dans la formation des enseignants, notamment sur la maîtrise de la langue et la gestion des situations sensibles. Beaucoup redoutent un manque de soutien institutionnel, bien que les chefs d’établissement soient désormais plus attentifs à ces problématiques.
Un problème de communication et d’influence culturelle
L’école peine peut-être à rappeler sa mission. L’article 11-1 du Code de l’éducation stipule pourtant clairement ses objectifs : transmettre les connaissances et partager les valeurs de la République. Or, de nombreux parents considèrent l’école comme un supermarché des sensibilités, où l’on pourrait choisir ce qui convient à ses convictions. Pourtant, les programmes sont fixés par la loi et ne relèvent pas d’un libre choix.
L’influence du soft power américain introduit une vision différente de la tolérance. Dans certains établissements français à l’étranger, la parité des points de vue est imposée, au point que des cours doivent consacrer autant de temps aux théories évolutionnistes de Darwin qu’à des croyances comme la Terre plate. Aux USA, la jeunesse se voit comme tolérante.
En France, à l’inverse, la loi garantit une éducation visant l’émancipation du fait religieux, dans le respect des principes républicains.
Certains musulmans en France, adoptant une vision rigoriste, estiment que leur croyance ne doit jamais être remise en question. Ils inscrivent cette revendication dans une logique identitaire et religieuse absolutiste. Paradoxalement, certains jeunes, pourtant éloignés du religieux, adhèrent à cette idée au nom de la tolérance et du respect. Cette posture remet en cause le modèle républicain, qui repose sur des principes universalistes.
L’école est une cible privilégiée, car elle vise à construire un cadre commun, notamment à travers la loi de 2004 sur les signes religieux. La commission Stasi, en préparant cette loi, avait pour ambition de protéger les jeunes des influences dogmatiques et de faire de l’école un espace de respiration laïque. Or, cette démarche constitue un obstacle majeur pour les islamistes, qui y voient une entrave à leur projet idéologique. Pour eux, la jeunesse ne doit pas – ne peut pas – accéder à la connaissance, de peur qu’elle ne s’éloigne de ce qu’ils considèrent comme le chemin. Une vision illustrée tragiquement par les mots de l’assassin de Dominique Bernard.
Les signes religieux ostensibles servent de rappels, incitant celui ou celle qui les porte à se conformer au dogme et à ne pas s’émanciper. Ils s’adressent aussi aux autres, exerçant ainsi une influence sur l’ensemble du groupe.
L’institution scolaire a réagi progressivement. Des mesures symboliques et structurelles ont été mises en place, comme la Charte de la laïcité et les minutes de silence après les attentats de Charlie Hebdo. En 2018, plusieurs initiatives ont vu le jour : la création des Équipes Académiques Valeurs de la République (EAVR), l’instauration du Conseil des Sages de la Laïcité, ainsi que la formation de 700 000 fonctionnaires aux principes de laïcité. De plus, un oral spécifique sur les valeurs de la République a été introduit dans les concours de recrutement des enseignants.
On observe que les jeunes professeurs adoptent une posture très tolérante, influencée par une vision plus proche du modèle américain. Cela soulève des inquiétudes si cette approche conduit à un relâchement de l’adhésion au principe de laïcité.
Par ailleurs, une minorité d’enseignants, bien que très vocale, perçoit la loi de 2004 comme raciste, sexiste et islamophobe. Pourtant, cette loi a eu des effets concrets et positifs : elle a contribué à l’élévation du niveau scolaire des filles et favorisé une augmentation des mariages hors des communautés d’origine. Certains vont même jusqu’à détourner le regard face à la présence de symboles religieux dans l’école, ne faisant pas respecter la loi.